L'histoire d'Alphonse BELMONT

 

« Je désire laisser à la postérité ces quelques notes sur ma vie et ma triste existence d'inventeur Français ayant subi le sort de la plus part des inventeurs qui sacrifient leur vie leur fortune et leur intelligence pour fournir à l'humanité des moyens plus lucratifs et moins pénibles.

Je désire surtout que le récit des peines et souffrances endurées par celui qui donna au monde le 1er moteur à pétrole, pratique pour l'automobilisme et l'aviation serve enfin à décider nos gouvernants à plus de sympathie pour venir en aide aux pauvres inventeurs en détresse. »

 

« Moi, Alphonse Pierre Marie Belmont, né à Chimilin, Isère,  le 22mai  1854, sixième enfant de parents travailleurs des champs et possédant une modeste aisance, je montrais dès l'enfance une disposition réelle pour la mécanique. Sans parler des choses simples et relativement faciles qui me paraissent aujourd'hui comme des jouets d'enfants, je dirais qu'à l’age de treize ans, j'ai construit avec les engrenages d'une vieille horloge, un réveil matin qui fonctionnait à merveille et servit pour éveiller les domestiques. Mes parents décidèrent alors de me faire étudier le grec et le latin et je fus mis en pension au petit séminaire de La Côte Saint André où je ne tins qu'un rang très faible dans mes classes, ne montrant des dispositions que pour les mathématiques. Je n’étais pas vraiment né pour la littérature. Je quittais donc le Petit Séminaire et fut placé à Lyon pour prendre des leçons chez un professeur de chimie. Vers l’age de vingt deux ans, je rentrais de nouveau dans ma famille et je com­mençais ou mieux, je continuais mes recherches et les essais en mécanique. 

C'est alors que je me mis à travailler au moteur à pétrole que je nommais moteur à air carburé. En effet, mon idée était celle-ci : faire passer un courant d’air dans un liquide assez volatil pour que cet air se trouvant suffisamment carburé put exploser quand il serait amené dans un cylindre et donner  ainsi un mouvement de va-et-vient au piston. Je fis donc faire une sorte de bonbonne en acier, la dite bonbonne portait deux ouvertures, l’une au sommet fermée par un fort bouchon de liège et l’autre plus petite, sur le côté. Au moyen d’une petite pompe, je remplissais ma bonbonne de mélange tonnant et après avoir fortement enfoncé le bouchon qui fermait l’ouverture du haut, au moyen d’une bougie, j’enflammais par la lumière mon mélange tonnant; aussitôt l’explosion se produisait et projetait le bouchon de la bonbonne avec violence. Un jour j’eus l’idée un peu hasardée d’attacher le bouchon avec un fil de fer et j’enflammais mon mélange; les gaz en combustion ne pouvant trouver une issue par le bouchon ficelé durement durent s’échapper par la petite ouverture de côté faisant entendre un sifflement très aigu et donnant à l’appareil un mouvement de rotation des plus rapide. J’étais alors fixé  et tirais la conclusion que les mélanges tonnants fournis par des huiles volatiles donnent une force expansion aussi grande sinon supérieure à celle produit par les mélanges tonnants fournis par le gaz d’éclairage. A ce jour je résolue de faire un moteur à quelque chose, pris sur les données d’un moteur à gaz mais alimenté par l’air carburé par le pétrole. Au début, je rencontrais assez de difficultés, ne possédant ni atelier ni outillage mécanique, et je n’étais moi-même qu’ouvrier–mécanicien. Je restais donc un certain temps sans pouvoir réaliser l’objet de mes rêves. Le moteur que je destinais à actionner une voiture mécanique devant se mouvoir et faire de grands parcours sans difficulté, la dite voiture ayant pour principale qualité la légèreté puisque actionnée par un moteur à gaz d' un genre nouveau, alimenté d'air carburé produit au moyen des pétroles légers qui tout compte fait étaient d'un poids minime et tenaient peu de place à emmagasiner tout en fournissant cependant une somme de calories considérables qui se transformaient en force par l'emploi d'un cylindre et d'un piston.

 Je liais bientôt connaissance avec un mécanicien de Pont-de-Beauvoisin  (Isère) nommé Mr Chaboud, qui possédait un petit atelier et l'outillage nécessaire à mes premiers essais. Il mit à ma disposition Victor Musy, jeune mécanicien très intelligent et nous nous mîmes au travail avec ardeur. Toutefois les premiers essais n'allaient pas tout seuls, je rencontrais de grandes difficultés pour la mise en feu des cylindres ainsi que pour la carburation qui se faisaient très mal. Mon premier moyen de carburer l'air fut de le faire passer à travers des tôles ou diaphragmes  poreux imprégnés d'essence de pétrole et la mise en feu se faisait par un petit tiroir porte-flamme à la manière du moteur à gaz d'éclairage. Cette première expérience que l'on peut appeler expérience de laboratoire ne don­nait, je le répète, que de forts mauvais résultats. Ainsi, par un temps humide et froid, il était à peu près impossible de mettre en marche, encore si l'on y arrive  il résultait ceci : près de la moitié du liquide ne pouvait se volatiliser;  les produits les plus légers étant partis dans les premiers instants de la carburation, les lourds à leur tour dédoublaient et tombaient dans le fond du réservoir ; il fallait donc les utiliser à un autre usage ou les rejeter.

C’est du reste ce qui s’était produit dans les tentatives faites par Lenoir et autres. Quoi qu’on dise, ces prétendus moteurs ne pouvaient ainsi être utilisés dans l'automobilisme ni l’aviation et n'avaient vraiment du moteur à pétrole que le nom. Pour ma part, après des mois et des mois de recherches et de travaux pé­nibles, beaucoup de veilles et de nuits complètes passées au travail, j'arrivais enfin après avoir étudié la carburation d'une manière toute particulière et ensuite  l'allumage à avoir un moteur assez pratique avec mise enfeu par incandescence au moyen d’un petit tube de platine adapté sur le fond de chaque cylindre et qu'un obturateur ne découvrait qu'au moment de la mise en feu.

 

 

 

« L'automobile ou plutôt ce que nous
appeli­ons la routière était inventée et 
prouvée possible »    

Voici, retracé fidèlement et en toute sincérité la vie d'un inventeur français qui trahi par la fortune dans ses premiers travaux n'a jamais eu les fonds nécessaires pour mener à bien ses découvertes et dont le dernier regret est de n'avoir pas pu ainsi rendre à ses compatriotes tous les services qu'il aurait­ désiré.

 

Fait à VEZERONCE ce mois de Janvier 1925                                            Signé BELMONT